Synthèse du Dossier de veille de l’IFE - Mars 2018, n°123 - Conférence de consensus CNESCO Mars 2018
La maîtrise de l’écriture conditionne l’insertion sociale des individus, elle est un enjeu de société majeur. L’essor des technologies numériques, loin de réduire le rôle de la communication écrite, a au contraire renforcé et diversifié les pratiques d’écriture. L’école, dont le rôle dans l’acquisition et le développement des compétences dans le domaine de l’écriture est primordial et se doit donc "d’être à la hauteur de l’explosion des pratiques d’écriture" (Bucheton 2014).
L’écriture est une pratique sociale, historiquement construite, impliquant la mise en œuvre de savoirs, de représentations, de valeurs, d’investissements et d’opérations, par laquelle un sujet vise à produire un sens dans un espace socio-institutionnel donné". Autrement dit, écrire est une activité inscrite dans une société particulière, à un moment précis de l’histoire et qui engage la personne qui écrit dans sa globalité.
L’écriture est une activité cognitive, une production langagière et une pratique sociale.
En tant qu’activité cognitive de haut niveau, la production écrite, plus lente que la production orale (de l’ordre de 5 à 8 fois), est particulièrement coûteuse en attention. Par ailleurs, elle possède ses propres marques, absentes de la production orale comme la ponctuation ou l’usage du passé simple peu commun à l’oral. Le coût cognitif est très élevé, davantage encore que d’autres activités complexes comme la lecture ( Fayol, 2013). Une activité est dite complexe si elle met en jeu plusieurs composantes en interaction les unes avec les autres.
Au fil du temps, l’écriture a évolué en fonction des modèles auxquels elle se réfère :
- Avant 1980, le modèle traditionnel conçoit la production d’écrit comme un processus linéaire avec une suite d’étapes : l’auteur planifie ce qu’il veut écrire, compose le texte puis le révise.
- Des recherches menées durant les années 80 remettent en cause ce postulat et propose un modèle dit de la production écrite où l’auteur suit une logique propre où il peut par exemple partir d’un passage d’un texte qu’il vient d’écrire pour planifier ou replanifier la suite de l’écriture, il peut réviser son texte en cours d’écriture ou encore exploiter une idée trouvée en révisant pour composer un nouveau passage du texte...
- Par la suite, les chercheurs mettent en avant un modèle d’enseignement des stratégies de production textuelle avec des étapes définies dont l’étape de modélisation. Progressivement, le rôle de la mémoire de travail dans les activités d’écriture est devenu un essentiel à la recherche en didactique de la production d’écrit.
L’écriture est une pratique langagière qui nécessite un travail d’écriture : "La mise en mots provoque de nouvelles idées qui modifient la planification du texte et de la syntaxe, qui font bouger le sens (...). Ces opérations mentales se déroulent en boucles plusieurs fois avant d’aboutir au texte final. Ainsi, les idées viennent en écrivant, l’organisation générale du texte peut se transformer après le premier jet. Les révisions ou corrections peuvent affecter autant le plan que les idées ou la mise en mots." (Bucheton, 2014)
Tout écrit réalisé à l’école doit être considéré comme un objet spécifique qui a pour objectif premier non pas la communication mais l’acquisition d’un savoir par l’implication de l’élève dans la tâche : "le contrat didactique repose alors sur une double contrainte : l’élève doit se dégager de sa posture habituelle, celle qui lui impose le cadre strict du contrat scolaire explicite, pour donner expression à son inventivité." (Doquet, 2011)
Les élèves et l’écriture, de la Maternelle au Lycée
Les pratiques d’écriture des élèves, tout au long de leur scolarité influencent leur réussite en français, mais plus généralement à l’école.
La manière dont les enfants conceptualisent l’écrit dépend grandement des pratiques sociales auxquelles ils sont confrontés. Ainsi, suivant leur milieu social d’origine, ils sont plus ou moins bien préparés à prendre conscience du caractère symbolique et alphabétique de l’écrit. Par la suite, les élèves s’attachent progressivement à gérer les différents niveaux de l’activité de production d’écrits et tentent de s’emparer de la complexité de la tâche. Il leur est donc profitable de questionner fond et forme conjointement mais en respectant une progressivité en fonction de la maturité des élèves dans l’acte d’écriture.
Les modèles didactiques de l’enseignement de l’écriture ont largement évolué depuis la fin du XIXe siècle :
- La rédaction a constitué le vecteur principal d’apprentissage jusque dans les années 70. Le respect des normes était le critère principal d’évaluation en liaison avec des stéréotypes culturels, moraux et linguistiques et l’enseignement était basé sur l’imprégnation par imitation.
- Née dans les années 70 et héritée de la pédagogie Freinet, l’expression écrite a supplanté ce modèle. L’apprentissage de l’écriture repose sur la postulat que les compétences scripturales se développent naturellement si on laisse l’élève s’exprimer librement sur des exercices d’écriture diversifiés. L’enseignant propose des modèles dont l’élève s’inspire et crée ses propres outils en fonction de ses besoins. L’évaluation est alors plus globale et peut être déléguée aux pairs.
- Un décennie passée, la production d’écrit et l’évaluation critériée font leur apparition. Ce nouveau modèle s’appuie sur les apports de la psychologie cognitive et la linguistique textuelle. L’écriture est une compétence que chaque élève peut s’approprier par le biais d’un travail qui suit une progression rigoureuse aux étapes clairement explicitées. L’évaluation a pour fonction principale l’organisation de la réécriture, elle s’appuie sur des critères explicites et élaborés par les élèves.
- Les travaux de Dominique Bucheton, à la fin des années 90, posent un nouveau modèle du sujet-écrivant. Il s’attache à mettre en évidence l’importance des effets de l’écriture sur le sujet qui écrit. L’apprentissage est conçu comme une véritable éducation culturelle dans laquelle la lecture de textes littéraires tient un rôle central. Il s’agit de centrer l’apprentissage de l’écriture sur le travail des brouillons et des écrits intermédiaires dont la fonction est particulièrement mise en valeur. L’évaluation a alors pour vocation d’accompagner l’élève dans les réécritures successives en le guidant dans le sens d’un "épaississement du texte".
Des postures élèves à questionner pour un apprentissage efficace de l’écrit
par Dominique Bucheton
Elle dénombre 5 postures que les élèves mettent en jeu lors des exercices d’écriture :
- la posture de refus ;
- la posture "en aveugle" ou "stratégique" : la tâche d’écriture est perçue comme purement scolaire et l’élève s’efforce de répondre aux consignes sans s’engager réellement en tant que personne dans l’activité ;
- la posture "première" où l’écriture constitue une expression directe de la pensée avec peu de souci pour la syntaxe et l’orthographe (une sorte de discours oral intérieur) ;
- la posture ludique ou créative qui consiste à échapper aux normes et aux contraintes ;
- les postures réflexives (ou postures secondes) où la tâche est perçue non comme une fin en soi mais un support pour penser.
Cette dernière posture est la plus valorisée par le système scolaire. L’enseignant quant à lui doit être attentif à la posture qu’il adopte et pouvoir en changer selon les objectifs qu’il se fixe au cours du travail d’écriture demandé aux élèves ( cf. Postures enseignantes par D. Bucheton).
Du côté du numérique...
En pratique